Eh oui ! Il y a du café en Amazonie aussi !

Et voilà après la jungle de béton, direction la vraie jungle, en Amazonie. Plus précisément à Apui dans le Sud de l’état d’Amazonas. Premier choc, à Manaus on étouffe! La capitale de l’Amazonie présente un climat chaud et humide mais il n’y a plus de forêt pour y apporter la fraîcheur. Pour se rendre à Apuí, rendez-vous à 5 heures du matin au port, un joyeux mic-mac de bateaux en partance pour toutes les communautés du réseau fluvo-routier, c’est à dire énormément de destinations puisque le bateau est le moyen de transport principale pour les

habitants de l’état d’Amazonas. Pour le voyage il faut embarquer un hamac e pour dormir sur le bateau et de la patience. Le bateau parcourt la rivière Aripuana, au départ de Manaus, en 2 jours. Une fois arrivé à Novo Aripuana il faut encore prendre un bus pour parcourir les pistes de terres pendant 1 journée afin d’enfin arriver à Apuí.

1 ) Un peu d’histoire

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Principale race à viande du Brésil, le Nelore résiste à la chaleur, aux périodes de disettes et à certaines maladies tropicales véhiculées par les insectes

Première surprise, à Apuí il n’y a pas de rivière, j’aurais pu m’en douter après une journée de bus. Deuxième surprise la forêt amazonienne comme on se l’imagine (arbres immenses, canopée à 40 mètres du sol…) est loin d’être à portée de main par ici. En effet à portée de main on a plutôt de jolis bœufs bossus comme on trouve partout dans le reste du Brésil (voir photo ci-contre). En effet la région de Apuí est une région dont l’économie est tournée vers l’élevage bovin (137 000 têtes de bétail dans la municipalité d’Apuí). Cet élevage bovin est principalement un élevage bovin viande destiné à la vente sur place et à l’approvisionnement de Manaus et Porto Velho (chaque jour on voit passer des barges remplies de vaches qui partent aux abattoirs). Historiquement le peuplement de la région d’Apuí date d’une trentaine d’année. A cette époque, le Brésil est en régime de dictature militaire et l’Amazonie est encore une région très peu anthropisée. Les militaires au pouvoir craignent que les pays voisins (Bolivie, Pérou) s’approprient ces territoires vierges. Ils décident alors de commencer à « coloniser » ce territoire. Commence l’immigration de familles des états du Sud du Brésil (Parana, Santa Catarina, Rio Grande do Sul) qui viennent avec leur histoire et leur pratiques culturales. Par la suite des familles des états voisins (Rondonia, Mato Grosso…) émigrent vers Apuí car les terrains sont très bon marché en raison de leur réputée faible fertilité et eux aussi apportent leurs traditions culturales.

Ces nouveaux arrivant ouvrent de nouvelles surfaces pour y placer des cultures de subsistances (lavouras brancas : mandioca, feijao…) et les cultures qu’ils connaissent. Un exemple bien typique est la culture du café conilon (robusta) qui poussent à plus basse altitude et à des températures plus élevées que le café arabica. Ainsi l’activité principale de la municipalité d’Apuí fut en premier lieu le café. De nombreuses familles se consacrent alors à la culture du café, et exportent vers Porto Velho des sacs de café vert. Cependant le sol est bien moins fertile que dans leurs région d’origine, et le café apporte un revenu uniquement une fois par an lors de la récolte. En outre l’appui technique au producteurs est inexistant, la  commercialisation est difficile notamment du point de vue logistique.  Ainsi de nombreux producteurs délaissent peu à peu la culture du café pour des productions génératrices de revenus plus réguliers et plus rapide : c’est ainsi que beaucoup commencent à se consacrer à l’élevage bovin. Et c’est ainsi que l’ouverture de nouvelles aires de forêt native s’accélère, afin d’y placer du bétail en pâturage. Aujourd’hui il existe environ 200 producteurs de café dans la municipalité d’Apuí. Ces 200 producteurs produisaient 4960 sacs de café vert (1 sac fait 60 kilos) par an entre 2008 et 2012, bien en deças du potentiel de production de la région.

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Les aires plus claires sont pour la plupart des zones de pâturage.

2 ) La conservation du territoire, nouvelle priorité. Le projet « Café em Agrofloresta para o Fortalecimento da Economia de Baixo Carbono em Apuí » de l’Idesam.

La réduction de la surface de forêt en Amazonie est un problème connu de tous. La municipalité d’Apuí était quelques années auparavant une des premières déforestatrice de l’état d’Amazonas. Dans ce contexte l’Idesam (Instituto de Conservação e Desenvolvimento do Amazonas) propose des projets au gouvernement fédéral afin de participer à la conservation et au développement de l’état Amazonas. Le gouvernement analyse les propositions de l’Idesam et débloque ensuite des financements. L’Idesam est aussi fortement impliqué dans le recensement rural qu’elle réalise pour l’INCRA (Instituto Nacional de Colonização e Reforma Agrária).

L’INCRA est un institut fédéral fondé en 1970 qui a pour rôle principal de réaliser la réforme agraire du pays, et de recenser les propriétés rurales du pays. Il  a aussi le rôle de promouvoir et réaliser le développement durable des 8000 « asentamentos » du pays. Les « asentamentos » (asentar=installer) sont des ensembles de petites propriétés  indépendantes les unes des autres qui sont installées là où originellement il y avait une propriété rurale qui appartenait à un propriétaire unique. Les parcelles ainsi obtenues sont délivrées à des familles sans conditions économiques pour acheter elles-mêmes leur terrain. Les familles ainsi installées payent ainsi à un prix plus abordable leur parcelle, et s’engagent en échange à vivre sur la parcelle, à l’exploiter de manière durable et à utiliser une main d’oeuvre familiale. (Il existe actuellement 9256 assentamentos qui représentent 88 314 857 ha sur la totalité du territoire brésilien).

Le projet Café Apui vise à favoriser le passage d’un système agricole conventionnel à des systèmes agricoles plus durables. En effet avant l’intervention de l’Idesam les producteurs de café de la région produisaient suivant les mêmes pratiques que celles utilisées dans leurs terres d’origine : système en monoculture, forte utilisation de pesticides pour lutter contre les ravageurs, utilisation d’herbicides pour lutter contre les adventices… Toutefois au delà de la pression sur l’environnement que cela impliquait, cela n’était pas économiquement viable.

En effet on trouve ici un problème courant chez les petits agriculteurs localisés dans des zones reculées : tous les intrants sont très chers du fait de la difficulté logistique pour approvisionner la région. La première raison de la forte acceptation du projet par les producteurs de la région est donc économique.

Par ailleurs les fonctionnaires de l’Idesam ont aussi joué un rôle éducatif auprès des producteurs, leur expliquant que les produits qu’ils appliquent sur leurs parcelles ne sont pas inoffensifs y compris pour ceux qui les appliquent, c’est à dire les producteurs eux-mêmes. La prise de conscience de l’impact sur leur santé de produits phytosanitaires est aussi un facteur qui a favorisé l’acceptation du projet.

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Le projet Café Apui a donc proposé dans un premier temps de mettre en place un système agro-forestier en plantant entre les rangées de café, des arbres d’espèces natives, des légumineuses, des espèces pour la production de bois. Pour ce faire l’Idesam a mis a disposition des producteurs des jeunes plants à planter au sein des parcelles, cela pour permettre une augmentation de la productivité des parcelles grâce à l’ombre qui permet d’augmenter l’humidité globale, et augmenter la biodiversité au sein de la parcelle. L’Idesam propose aussi aux producteurs des modes de lutte biologique contre les ravageurs (notamment la broca du café). L’Idesam propose aussi aux producteurs des techniques afin de réaliser des engrais biologiques.

Un autre aspect du projet est l’amélioration de la qualité du produit final. En effet traditionnellement les producteurs collectaient le café et le stockaient directement dans des sacs. Puis les sacs pouvaient rester jusqu’à 2 semaines entreposés avant d’être vendus. Pendant ce temps dans les sacs se réalisaient une fermentation altérant la qualité des grains de café. Pour pallier à ce problème l’Idesam a fourni le matériel nécessaire à la construction de séchoir solaire

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Séchoirs solaires chez chaque producteur

Le café ainsi séché avant d’être entreposé présente une durée de vie beaucoup plus importante et donc une qualité bien supérieure lors de la vente. Le projet Café Apui a donc aussi permis une amélioration de la qualité du café produit par les producteurs. Cette amélioration de la qualité du café a permis aux producteurs de tirer un revenu supérieur de la vente du café. Le projet permet ainsi aux producteurs d’agréger une valeur plus importante a leur produit, et de diversifier leur récolte. Sans compter le fait que grâce au projet la biodiversité de la parcelle est augmentée, et la parcelle n’est pas déforestée.

Enfin le projet intègre aussi la mise en place d’un partenariat avec une entreprise locale de transformation du café vert en café torréfié et près à la vente. Cette entreprise va acheter à un prix bien supérieur le café des producteurs participant au projet en raison de sa qualité supérieure et la garantie que ce café ne présente aucune trace de produits phytosanitaires, ce qui lui permettra de vendre à un prix plus élevé le produit final. Au final le café agro-florestal est disponible dans tous les supermarchés de la municipalité et  dans les grandes villes voisines (Manaus et Porto Velho).