Le jardin créole, support de la transmission d’une agriculture ancestrale en Martinique

La notion de « jardin créole » est une notion que l’on entend souvent parmi les petits agriculteurs du nord de la Martinique, sans pour autant qu’ils puissent définir ce terme précisément. Essayons d’y voir plus clair…

A la base, lors de la colonisation, le jardin créole désignait le jardin propriété d’un maître et entretenu par des esclaves. Bien que l’esclavage ait été aboli, le jardin créole n’a pas perdu son objectif initial : assurer une autosuffisance alimentaire, voir un complément de salaire.

Pour cela, il s’agit d’utiliser les services rendus par la nature, voir de reproduire ce que fait la nature.

Il est composé de  diverses végétaux : arbres, arbustes, plantes arbustives, herbes, plantes cultivées. Cette diversité assure un équilibre dans le système, et une inter-protection (contre les insectes, les maladies, et autres aléas naturels).

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« Le jardin créole est une philosophie de vie, où il s’agit de respecter ce que nous savons et ce que l’on nous a transmis. »

J’ai entendu parler d’une association qui favorise les pratiques ancestrales au nord de la Martinique : c’est l’association Lespri Lasoté. J’ai voulu rencontrer son président, Jean-Pierre Mauricrace. C’est sur ses champs que je vais le rencontrer.

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Jean-Pierre Mauricrace

Selon Jean-Pierre, un jardin créole s’accompagne nécessairement d’une grande diversité de variété de plantes et d’étages de végétation : patate douce, canne à sucre, plantes médicinales (basilic), igname, arbres (papaye, cocotiers). Les ignames poussent en hauteur sur des tuteurs : les feuilles et tiges se développent sur les tuteurs, et les tubercules d’igname se développent dans le sol.

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Culture d’igname sur tuteur

De multiples techniques agricoles y sont opérées : paillage naturel, association de cultures, rotations,… De plus, la lune dicte le cycle des plantes (igname notamment). Ce savoir-faire, c’est son oncle qui lui a transmis. Une transmission en puzzle, c’est-à-dire que chaque jour, son oncle lui donnait de nouvelles informations et observait si son neveu était ou non passionné. Cette passion, Jean-Pierre l’avait bel et bien.

Tous ces savoirs faire liés au jardin créole, l’association Lespri Lasoté souhaite les transmettre aux nouvelles générations.

Face à l’uniformisation de l’agriculture, l’association veut également maintenir les variétés ancestrales des jardins créoles : igname Saint Vincent, massissi, atoumo, thé frisé.

Ses produits, Jean Pierre les vend directement aux consommateurs afin de pourvoir leur transmettre le goût de la nourriture saine, du terroir, comment bien préparer les aliments,…

La cressionière

La cressonnière en Martinique

C’était un samedi, et Léon Tisgra (agriculteur bio en Martinique) me propose avec enthousiasme que je vienne avec lui voir une cressonnière (là où l’on cultive le cresson). J’accepte, ne sachant pas du tout à quoi m’attendre. Nous y allons donc, accompagné de Jean-Pierre, un ami de Léon. La fameuse cressonnière est située dans les montagnes de Fond Saint Denis (village sur les hauteurs de Saint Pierre). Le chemin à parcourir à pied est assez long pour accéder à la cressonnière : 1h30 de marche dans la forêt tropicale, avec beaucoup de dénivelé.

Qu’est ce que la cressonnière de montagne ?

Le cresson est encore cultivé de façon artisanale dans certains endroits de la Martinique. C’est le cas ici, où on le cultive en montagne, avec une pente assez forte.

On se trouve sur le terrain de Jean-Pierre, terrains qui appartiennent à sa famille depuis des générations.

Les différentes étapes pour la mise en place d’une cressonnière de montagne

Le problème avec le cresson, c’est l’eau, le sol doit être humide. Il faut donc apporter beaucoup d’eau. Le lieu choisi est stratégique car il se situe à côté d’une rivière. Via des tuyaux, l’eau de la rivière est amenée vers le champ de cresson. Là est la 1ère étape, qui n’est pas des plus faciles. En effet, il faut transporter les tuyaux via le chemin (1h30 de marche), les installer au niveau de la rivière (qui est un endroit très escarpé), puis faire arriver les tuyaux vers le champ.

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Léon Tisgra, dans la rivière

La 2ème étape consiste à creuser dans la terre pour aménager une « zone cresson ». Sur les côtés, il y a des plantes diverses.

3ème étape : bâcher sur les côtés d’un film plastique pour éviter que les mauvaises herbes ne se développent.DSC03796-min

3ème étape : amener le bout du tuyau au niveau du champ (en hauteur plus précisément), et le percer de différents trous tout du long pour que l’eau se répartisse de façon homogène à travers le champ.

4ème étape : bâcher d’un filet le champ de cresson pour éviter le développement de
s mauvaises herbes

5ème étape : poser les plants de cresson sur le filet.

Et voilà le tour est joué ! Un petit schéma résumé ci-dessous :

Cressionière

Les techniques agricoles traditionnelles de Léon Tisgra

Léon Tisgra est un agriculteur situé sur la commune de Fond Saint Denis, au nord de la Martinique. Il est certifié bio, et a développé le GRAB (Groupement Régional d’Agriculture Biologique). Fier de ses ancêtres, Léon Tisgra perpétue avec passion les pratiques ancestrales agricoles.

« Je suis un homme simple dans une pensée simple » dit-il. Il possède en plus le respect de la transmission, et la passion de partager ses savoirs.

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Dans cet article, nous allons illustrer deux de ces techniques : le billonnage – gazonnage et le cantero.

Billonnage à gazonnage

Cette technique est notamment intéressante en terrain pentu. Elle peut se confondre avec une culture en terrasse, mais le principe est différent.

Le travail s’opère par rangée, et l’on progresse vers le haut. Dans les régions tropicales, les mauvaises herbes se développent très vite. Au lieu de les enlever, on va s’en servir pour fertiliser le sol, tout en évitant cependant qu’elles se développent.

A l’aide d’un râteau, les mauvaises herbes sont arrachées, ramenées et « alignées » selon une rangée : c’est le gazonnage. Puis la terre est également ramenée pour recouvrir la totalité des mauvaises herbes : c’est le billonnage. Voici le résultat final :

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Cette technique a de nombreux avantages :

  • Fertilisation du sol par les mauvaises herbes ;
  • Pas de développement des mauvaises herbes ;
  • L’organisation en « paliers » permet d’avoir un ruissellement de l’eau quand il pleut, sans avoir de ravinement ni d’érosion ;
  • Cette technique permet également d’amener plusieurs cultures sur un même lopin de terre (dachines, pastèques, salades,..). Cette diversité culturale assure une protection naturelle contre les insectes.

C’est une culture de connaissance, de « peuple ». Cette technique implique une maitrise du sol et du système environnemental.

Le cantero

Pratique également ancestrale, le cantero exploite également le principe d’utiliser les herbes pour fertiliser le sol.

Le principe du cantero est simple. Il s’agit de monter, sur 40 cm, différentes couches de terre et d’herbe superposées. Lorsque cela est réalisé, il faut former des trous à travers les couches, pour permettre aux vers de terre de s’en engouffrer. Les vers de terre vont dégrader les herbes et les transformer en humus (qui servira d’engrais). Le temps de dégradation est de 22 jours.

Après, il est possible de plante énormément de légumes : salades, oignons,…

L’image ci-dessous met en évidence des cultures de légumes qui poussent sur un système de cantero :

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